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A qui profite le streaming ?

A qui profite le streaming ?

En l’espace de quinze ans, le marché du disque a perdu la moitié de son chiffre d’affaires. Florissant durant l’ère du CD et surtout très lucratif pour les grosses maisons de disques, ce marché est passé d’une période glorieuse à une époque économiquement bien plus sombre.


C’est bien évidemment la démocratisation du web qui a été le déclencheur d’une inexorable mutation, conduisant vers l’écoute quasi gratuite de la musique. Alors que les ados des années 80 dépensaient leur argent de poche chez les disquaires, ceux d’aujourd’hui le dépensent en achetant les dernières générations d’objets connectés grâce auxquels ils écouteront leurs artistes préférés dans des conditions acoustiques totalement déplorables, mais sans débourser grand chose.

Engoncés dans un mode de fonctionnement d’un autre âge, les grands acteurs du disque se sont montrés incapables de réagir face à l’évolution comportementale des consommateurs de musique. Pire encore, ils se sont enfermés dans une politique commerciale incohérente, faisant des bénéfices sur les fonds de catalogue amortis depuis bien longtemps, négligeant la création et l’émergence de nouveaux artistes.

Résultat, les petites maisons indépendantes ont mis la clé sous la porte et les majors n’ont trouvé leur salut qu’en se cannibalisant et en se regroupant, accusant au passage les pirates et les hackers, du pillage de leurs ressources artistiques pour justifier leur chiffre d’affaires en baisse.

Pendant ce temps, sont arrivés de nouveaux acteurs pas vraiment préoccupés par les contingences financières de ces ex-colosses aux pieds fragilisés. La technologie a encore évolué, offrant avec l’écoute en streaming un flot ininterrompu de musique à moindre coût, réglant par la même occasion une partie du problème du piratage et obligeant les «flics» de l’HADOPI à se reconvertir dans la défense des droits d’auteurs.

«Le streaming c’est formidable» a-t-on entendu dans la bouche de ceux qui, peu de temps auparavant, cherchaient encore à endiguer la dématérialisation. Oui, il est formidable car il offre une visibilité énorme aux artistes, mais ces derniers sont si nombreux qu’ils ont vite fait de sombrer dans l’anonymat du web, ignorés des médias et donc méconnus du grand public. Finalement, dématérialisation ou pas, rien n’a changé. Il y a toujours le clan des populaires, ceux qui remplissent les salles, passent à la TV, vendent encore des albums et le clan des «laissés pour compte» : ceux qui galèrent pour trouver des engagements et qui pleurent en découvrant ce que leur rapporte le streaming ; c’est bien là que se situe le cœur du problème.

Alors à qui profite le streaming ?

Certainement pas aux artistes : Le Monde.fr a publié en juin dernier un article sur la répartition financière du streaming, article dont la conclusion était édifiante : «les ayants droit touchent en moyenne 0,0001 € par écoute gratuite, financée par la publicité, et entre 0,002 et 0,004 € en flux payant, financé par les abonnements». Le Suédois Spotify avait joué la transparence fin 2013 en évoquant une moyenne de rémunération de 0,005 $ par titre écouté (répartition : 30% Spotify / 70% Maisons de disques).

Dans les faits, un million d’écoutes rapporte à son propriétaire entre 6 000 et 8 400 $ (5 500 € – 7 800 €). Comparé à ce que les disques physiques pouvaient rapporter aux créateurs, on est bien loin du compte. Alors oui, il faut se rendre à l’évidence, un nouveau modèle est en train de prendre corps, un modèle dans lequel la musique n’est plus qu’un simple produit d’appel pour des grands groupes comme Apple ou Orange qui, avec une puissance financière conséquente, créent ou prennent le contrôle des plateformes de streaming, supports publicitaires de premier ordre et formidables outils pour collecter des données personnelles indispensables au marketing one to one.

Deezer, propriété d’Orange a repoussé son introduction au CAC 40 pour cause de période défavorable au regard d’une perte nette de 27 millions d’€ en 2014. Ce n’est que partie remise, l’excédent brut opérationnel est annoncé pour 2018, en même temps que l’arrivée du propriétaire dans le monde de la banque…

Des chiffres astronomiques pour les uns, des centimes pour les autres, cet écart abyssal finit par faire tourner la tête, un peu comme lorsque l’on fixe un vinyle qui tourne 33 fois par minute sur sa platine.

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Une rubrique de libre opinionde Olivier Perrot

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