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Gilles Flichy et Emmanuel de Lattre : Histoires et contes d’entrepreneurs : « Un passeur d’émotions au service de l’Art et de l’entrepreneuriat »

Gilles Flichy et Emmanuel de Lattre  : Histoires et contes d’entrepreneurs : « Un passeur d’émotions au service de l’Art et de l’entrepreneuriat »

Entre récit de vie et conte légendaire, Gilles Flichy et Emmanuel de Lattre nous retracent le parcours de Cécile Falcon, co-fondatrice de la compagnie théâtrale Se non è vero.


Histoire d’entrepreneur de Cécile Falcon par Gilles Flichy

Cécile est née dans une famille de comédiens. Fille unique d’un père quinquagénaire, elle a été très désirée et très entourée affectivement par ses parents. Son histoire familiale prend racine dans le haut Mézenc à la frontière de l’Auvergne et de l’Occitan, dans un milieu, à la fois rude, simple et authentique, bercé par la méritocratie prônée par la 3éme République. Portée par cette ambition familiale  exigeante, elle a atteint le plus haut niveau d’accomplissement universitaire jamais atteint dans sa famille,  après avoir intégré la rue d’Ulm . Son caractère sculpté par ce terroir d’exception allie harmonieusement une volonté aussi résistante que le basalte, la soif insatiable d’explorer tous les domaines de l’humain et la sensibilité sensuelle d’une flore et d’une faune diversifiés qui ont laissées leurs empreintes au plus profond de sa chair et de son âme. Ainsi prend sens son caractère passionné et révolté qui ne supporte pas la médiocrité au cœur du pays des « Justes » qui ont su résister avec courage et détermination pour s’opposer à la barbarie du nazisme, armés de leur sagesse et de leur bienveillance.

Très vite, Cécile est habitée par la passion de la danse dont elle souhaite faire son métier, encouragée par une enseignante qui a repéré ses dispositions mentales et physiques favorables. Son père, attentif à sa passion naissante, et bien conscient de la dureté des carrières artistiques, ne cesse de lui répéter que c’est le plus dur métier au monde. C’est pourquoi, soucieux de préserver sa fille adorée, il ne peut s’empêcher de contrarier son rêve. Ecartelée entre le poids de la parole du père et l’envie d’être soi, sa volonté n’est pas encore suffisamment forgée pour affirmer son désir envers et contre tout, et Cécile abandonne son rêve de devenir danseuse. Elle manifeste cependant sa singularité en s’écartant du monde de l’art, celui de ses parents. Attirée par son goût pour l’astrophysique et fascinée par l’infiniment petit et l’infiniment grand, elle s’oriente vers des études plus scientifiques, ce qui étonne ses parents, de sensibilité littéraire.

En terminale, tiraillée entre la nécessité de choisir entre les Lettres et la science, elle s’oriente vers une préparation Khâgne B/L qui permet de concilier les matières littéraires, les mathématiques et les sciences économiques et sociales. Ce choix satisfait les exigences de sa double nature marquée à la fois par le besoin du rêve et du réel. Elle se découvre un intérêt pour le monde réel qui la pousse à décrypter la complexité de son environnement économique et, clin d’œil du destin, elle est la camarade de classe d’Emmanuel Macron durant ces années de prépa. Son parcours l’amène à Normale sup et à Science Po. Elle prend conscience que, pour elle, les choix sont plus difficiles et compliqués que pour son père qui a connu une réussite fulgurante et parce que, intéressée par tout, elle ne se résigne pas à abandonner quoi que ce soit. Elle se passionne pour les mondes arabo-musulmans et rêve d’une carrière diplomatique tout en ressentant au fond d’elle l’appel de sa part artistique. Elle ressent fortement l’envie de partager des émotions et de faire éclore chez ses camarades, trop enclins à l’analyse et aux spéculations, une part essentielle très délaissée par eux. Son désir profond de la danse refait surface mais l’ombre d’une réalité la rattrape, elle a dépassé la limite d’âge pour intégrer une grande école de théâtre. Son destin croise alors celui du metteur en scène Jacques Lassalle, tour à tour directeur du théâtre national de Strasbourg puis administrateur de la Comédie Française. Suite à un entretien, séduit par son double profil d’enfant de la balle et de Normalienne, il l’invite à assister à une répétition et lui propose de devenir son assistante. Elle travaille sur de nouveaux spectacles au cours desquels elle rencontre des grands comédiens comme Gérard Depardieu et Fanny Ardant, devient dramaturge et travaille avec un autre ancien administrateur de la Comédie Française, Marcel Bozonnet.

Mais, dans le même temps, elle doit suivre la voie tracée par l’Ecole normale supérieure, passer l’agrégation et commencer une thèse. Elle jette un regard rétrospectif et lucide sur son parcours et convient que la grande diversité de ses activités l’a empêchée, pendant ces deux dernières années de thèse en Histoire du théâtre, de faire elle-même du théâtre. Cécile se rend compte qu’au regard de sa double vocation, pédagogique et artistique, elle s’est écartée de la scène.

Un événement familial dramatique, la maladie puis la mort de son père en 2009, vient complexifier la crise de vocation qu’elle traverse.  Cécile s’interroge : Qu’est-ce que je vais faire ? Déçue par un système universitaire qui promet beaucoup mais ne tient pas ses promesses et lassée par cet environnement ingrat qui ne récompense pas forcément les talents, elle ressent une certaine colère. Sa décision est prise, elle tourne définitivement le dos à la voie royale. Après avoir terminé sa thèse fin 2011, elle prend conscience qu’elle est enfin délivrée des angoisses et du doute qui habitaient son père et réalise qu’elle est enfin libre d’assurer pleinement son propre désir.

Survient alors comme par enchantement une belle synchronicité. Cécile fait la connaissance de Xavier Maurel, écrivain, dramaturge, metteur en scène, qui est alors adjoint du directeur du Conservatoire national supérieur d’Art dramatique, où elle enseigne l’histoire du théâtre.

Elle est animée par le souhait de ne pas trahir ses ancêtres et par le besoin de retourner au pays qui rentre fortement en conflit avec tout ce que la vie à Paris peut lui offrir professionnellement, culturellement et socialement. Elle finit par prendre de la hauteur vis-à-vis du snobisme et du réseautage qui règnent en maîtres sur la capitale et décide de renouer avec le  théâtre et « ce territoire de demi-montagne, austère et chaleureux, rugueux et hospitalier, où solidarité et rencontre ont toujours été des valeurs actives et farouchement défendues », qui traduit si bien son désir d’essentiel. Le messager porteur de cet impérieux appel qu’elle ressent si intensément dans tout son être est, à n’en pas douter, la burle : ce vent du Nord qui souffle sur les hauts plateaux du Vivarais-Lignon. C’est donc au Chambon-sur-Lignon, à la frontière entre Haute-Loire et Ardèche, terre imprégnée par la mémoire vivante de ses ancêtres, qu’elle a décidé de créer avec Xavier Maurel à la fin de l’année 2013 la Compagnie Théâtrale  Se non è vero…  (tirée de l’expression italienne, « Se non è vero, è ben trovato », dont la traduction « si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé », offre une belle métaphore de son cheminement personnel.

Entre temps, Christian Monjou, agrégé de l’Université, enseignant chercheur à Oxford, Expert de l’Association pour le progrès du Mangement (l’APM) et spécialiste de l’analyse du leadership par le prisme des arts, qu’elle avait eu comme professeur dans sa classe préparatoire du Lycée Henri IV, va l’éclairer très utilement sur elle-même quand il lui confie en 2013 : « Cécile, toutes tes facettes, ta connaissance intime du monde du théâtre, comme ton intérêt pour la vie économique, pourraient être reliées. Le monde de l’entreprise recourt en effet à une certaine forme de dramaturgie, de théâtralité ; les dirigeants ont besoin de travailler leur communication orale et d’apprendre à être en représentation, tout en restant eux-mêmes. Tu peux servir de passeur entre ces deux mondes.» C’est ainsi qu’il l’introduit à l’APM et qu’elle prend contact avec Fleurke Combier qui recrute ses experts. Immédiatement séduite par la double compétence et le charisme de Cécile, Fleurke la fait intervenir dans son club Parisien. Elle suscite d’emblée l’envie chez ces dirigeants de monter avec elle une pièce de théâtre qui les conduira sur la scène du Festival « Off » d’Avignon. Cécile  devenue experte de l’APM, d’autres rencontres suivront avec toujours autant de succès et de plaisir, qui lui permettent chaque fois de vivre une expérience riche en échanges humains.

En 2015, elle crée avec Xavier Maurel au Chambon-sur-Lignon et dans les communes avoisinantes, le « Festival Après la neige » en se souvenant, avec beaucoup d’émotion dans la voix, du destin de ses ancêtres qui partaient chaque jour travailler sur les plateaux enneigés avec une poignée de châtaignes en poches pour affronter la faim et le froid.

Surmontant sa difficulté d’accepter de ne pas se poser, elle vit désormais pleinement dans l’instant présent sans se soucier des lendemains, retrouve son fil d’Ariane et fait enfin des choses qui lui plaisent en acceptant de vivre simultanément les deux parties d’elle-même entre Paris et le Chambon-sur-Lignon. C’est épuisant, mais ce contact avec un public normal qui s’émerveille spontanément est pour elle une source d’énergie inépuisable qui comble son besoin de bienveillance et d’authenticité. Elle se prend à rêver qu’elle arrime sa Compagnie Théâtrale  « Se non è vero » dans une grange du plateau Vivarais-Lignon et me confie que, ce qui la fait avancer, c’est sa capacité d’évoluer dans des mondes très différents en passant, avec agilité, des marchés locaux où elle distribue sans fard et en toute simplicité ses flyers pour les spectacles du festival, au coaching des cadres de Saint-Gobain Recherche, sans oublier les dirigeants de l’APM.

A l’occasion de la seconde édition du festival Après la neige en 2015 elle joue « Je suis une chose qui pense » le spectacle pluridisciplinaire mêlant théâtre, danse et vidéo d’après Descartes créé par Xavier Maurel au Théâtre 95 de Cergy-Pontoise en novembre 2015, puis repris à Paris au Théâtre de la Reine Blanche en février 2016. Ce spectacle lui offre la possibilité de renouer avec un désir profond, celui de jouer et danser sur scène en associant ses passions, tout en faisant ressentir et comprendre à travers le texte de Descartes que la pensée vient du corps. Ayant eu si longtemps l’impression d’être coupée en deux, elle peut enfin réunir son corps et son esprit et ainsi, se trouver elle-même «réunie ».

 Elle expérimente émotionnellement et physiquement sa propre complexité qui s’exprime à travers d’une part, son ancrage très solide dans le réel et d’autre part, sa vision poétique du monde, qui paradoxalement l’en détache. Elle joue, danse et renaît tel le phœnix, se réconcilie avec son corps et ressent un impérieux besoin de transmettre toutes ses émotions et ses connaissances.

Aujourd’hui, Cécile, qui est devenue elle-même et s’est rapprochée de son essence, ne renie rien de son parcours singulier et pluriel. Elle fait le choix d’être un entrepreneur-artiste qui repart à zéro sur un projet plus modeste. Elle a appris de son parcours qu’il ne faut pas baisser les bras devant un échec et qu’il faut retourner sans cesse à la tâche avec à chaque fois plus de force et de volonté.

Elle souhaite travailler sur d’autres spectacles qui lui permettent d’exprimer « toutes ses facettes »et réaffirme son besoin de s’investir dans le théâtre, qui crée un réel contact humain et permet de vivre et sentir intensément la vie en soi. C’est ainsi qu’elle apprivoise cette angoisse de la mort que nous côtoyons tous.

Très marquée par la fracture sociale, par ces mondes qui ne se comprennent pas et par le sort des immigrés, des anonymes et des exclus, elle entrevoit le monde de demain plus cosmopolite et souhaite témoigner de notre commune condition humaine et retrouver l’essentiel de ce qui nous lie les uns aux autres.

Emportée par l’exigence que réclame la concrétisation de ses passions multiples et lucide sur le risque d’épuisement qui la guette, elle aime se réconforter en dégustant du vin et du chocolat, et rêve au restaurant d’exception de Régis et Jacques Marcon, à Saint-Bonnet-le-Froid, à leur cuisine innovante et respectueuse des traditions, tout en évoquant avec émotion, cette cuisinière auvergnate qui résumait si bien la philosophie de Cécile : « La cuisine ne peut être belle que quand elle nous ramène aux choses premières ».

Fascinée par les grands sages qui ont su concilier si adroitement sens politique, efficacité et bienveillance, elle se projette dans l’avenir sur les hauteurs du plateau Vivarais-Lignon et se prête à rêver qu’à l’heure de son dernier départ, un Dieu poète, danseur et créateur lui soufflerait avec délice tout son contentement en lui disant : « Tu as été quelqu’un de bien, à la fois sage, bienveillante et généreuse et tu as accompli tout ce que tu pouvais faire ».

Avant de tirer sa révérence et de quitter la scène par le haut, elle effectue deux ou trois pas de danse et nous lance avec un sourire lumineux à la fois sage, serein et plein de vie « Profitons de la vie ensemble au lieu de nous faire du mal ».

Confrontation de l’histoire de Cécile Falcon à l’univers des contes par Emmanuel de Lattre

Chaque matin, depuis son balcon, l’Empereur admire le lever du jour sur sa Terre. Chaque matin il admire la naissance des premiers rayons sur le visage de sa Terre qui s’éclaire. Et l’image de ce paysage, constamment renouvelé, le met en joie profonde pour toute la journée.

Un matin, une vilaine grippe le contraint à rester alité. Et son incapacité à se rendre sur son balcon le rend finalement encore plus malade que le virus ! Alors, on appelle le peintre royal afin qu’il exécute le tableau du paysage que l’Empereur admire chaque matin, constamment le même et constamment renouvelé. Ne plus devoir se lever, ni ouvrir les rideaux pour vivre l’émerveillement quotidien offert par SA nature.

Et un matin, l’Empereur se réveille. Il ouvre les paupières. On ouvre le tissu qui recouvrait le tableau et… l’Empereur admire le visage de sa Terre qui s’éclaire. Il est tellement ravi par cette toile qu’il la confond même avec la Réalité ! Il ne sait plus s’il est alité ou debout sur son balcon ! Il est guérit !

Il regarde le peintre : Un tel pouvoir dans les mains d’un seul homme est trop dangereux.
Il ordonne qu’on lui coupe immédiatement la tête. Le peintre repousse alors la lame du bourreau avec son pinceau, s’excusant d’avoir oublié un détail sur le tableau. L’Empereur lui accorde ce délai.

Le peintre se dessine lui-même dans une barque remontant le fil de la rivière, puis il disparaît…

Ainsi en va-t-il de ces artistes qui seuls savent tellement s’abandonner à leur art qu’ils font corps avec la Nature et savent épouser les mouvements de la Vie. Ainsi en va-t-il de Cécile Falcon qui a décidé de rassembler l’ensemble de ses compétences pour nous faire voir, nous faire vivre tous les reliefs du visage de la Vie.

Réaction de Cécile Falcon à la découverte de ce conte

« Au moment où j’écris, je suis à Assise, en Italie. Je viens de lire le conte d’Emmanuel. J’imagine aussitôt, dans ce paysage admiré par l’empereur, le panorama toscan que j’ai contemplé toute la journée: collines, ifs, villages dorés. Je comprends l’émerveillement de l’empereur. Mais il se trompe, effectivement, ce n’est pas sa terre. Il ne possède pas ce qui lui est donné à voir. Il ne connaît pas vraiment ce qu’il voit. Le peintre magicien est malin: il s’échappe du tableau, il échappe à la mort voulue par ce tyran.
Mais nous, pouvons-nous vraiment sortir du tableau? Pouvons-nous, en un coup de pinceau, nous dérober, échapper à la mort? Non, assurément…
Ce retournement final raconte aussi autre chose: ce qui est beau, dans cette histoire, c’est que le peintre, l’artiste, finit par disparaître.
Son secret consiste moins à user de son pouvoir qu’à reconnaître sa petitesse dans l’immensité des choses à célébrer… »



Une chroniquede Gilles Flichy et Emmanuel de Lattre

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