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Festival du Court métrage : derrière le film, le marché du film

Festival du Court métrage : derrière le film, le marché du film

En cette période d’élaboration des budgets par les collectivités territoriales, l’heure est à la recherche d’économies. Dans cette chasse aux euros et le jeu des transferts d’un poste budgétaire à un autre, celui consacré à la culture est le plus fragile. Et pourtant, il y a bien une économie de la culture qui peut rapporter gros alors que trop souvent on se contente de chiffrer les dépenses. Le journal de l’éco a mené l’enquête dans les coulisses du marché du Court métrage, à l’occasion du la 38e édition du Festival de Clermont-Ferrand.


L’organisation, une structure pérenne

Au fil des années, la structure support du Festival a grandi, s’est professionnalisée, à multiplié ses services (1) jusqu’à atteindre un effectif de 17 salariés permanents. Sauve qui peut le Court métrage est une entreprise qui génère des recettes et donc des emplois. Ce nombre fait plus que doubler pendant le festival avec l’embauche de personnel supplémentaire, sans compter les 300 à 400 bénévoles qui n’ont pour toute rétribution que l’accès gratuit et illimité aux projections. Pourtant, sans les subventions et participations et sans la location des stands sur le marché du film court, les 170 000 spectateurs qui remplissent les salles pendant 9 jours ne suffiraient pas à équilibrer les charges.

Les postes budgétaires, comme celui de traduction et de sous-titrage des films (dans une ou deux langues) qui ne sont pas portés à la charge des réalisateurs, les postes de techniciens, de régisseurs sont tenus par des professionnels expérimentés. Mais surtout, ce qui fait de Clermont-Ferrand une plateforme mondialement reconnue autour du festival lui même et de la projection des films, c’est son marché du film sur lequel veille Anne Parent, chargée de l’organisation et de la coordination générale :  » A la Jetée, nous avons la plus grande base de Courts métrages au monde avec un accès professionnel en ligne et un contact avec tous les producteurs. C’est important pour l’écosystème du marché, car les acheteurs viennent pour rencontrer les réalisateurs » .

En effet, certains distributeurs, rencontrés sur le festival, l’affirment : « Clermont-Ferrand est le plus important marché au monde. Une fois qu’un film est sélectionné ici, il est assuré de recueillir une grande audience ». De plus, « c’est très bien organisé et vraiment international » reconnaissent les irlandais qui viennent depuis très longtemps promouvoir leurs films.D’où la forte demande chaque année pour obtenir un stand et l’inquiétude pour l’avenir car le gymnase Fleury ne peut en contenir plus d’une quarantaine.

Le marché du court sur les chaînes TV

Sur le marché du court, les acheteurs comme les distributeurs sont discrets sur les volumes financiers, mais tous reconnaissent que ceux-ci sont importants. Une estimation, réalisée il y a 5 ans, aurait projeté un chiffre d’affaires de l’ordre de 800 000 euros. Vraisemblablement en hausse depuis, car les télévisions du monde entier continuent à s’intéresser aux formats courts projetés à Clermont-Ferrand qui reste, pour l’ensemble des distributeurs et acheteurs, la meilleurs place au monde pour vendre et acheter des films. Une sélection à Clermont-Ferrand, que l’on soit primé ou pas, assure la promotion de son film. C’est pourquoi les distributeurs choisissent de venir présenter leur catalogue à Clermont-Ferrand , comme Geneviève Kinet de Wallonie Bruxelles Images : «  Tous les acheteurs de programmes TV sont là pour faire leur marché. Il y a aussi une économie plus petite avec les plateformes VOD mais notre premier choix est de chercher un distributeur international qui va placer le film dans un programme TV. »

Ces acheteurs que sont les chaînes de télévision, ont chacun un budget destiné à alimenter une grille de programme spéciale courts métrages. Selon les pays, le nombre de courts métrages achetés chaque année varie d’une cinquantaine à cinq cents pour le marché asiatique qui fait, lui aussi, une large part aux réalisateurs français. La politique d’achat de TV5 monde est particulièrement intéressante pour les réalisateurs français, puisque la chaîne n’achète que des films francophones (environ 80 films par an) d’une durée de 5 à 35 minutes maxi pour chacune de ses 8 chaînes de diffusion.

Elle propose une grille d’achats allant de 90 à 150 euros la minute et offre le sous-titrage dans une dizaine de langues à l’auteur. Ces films viennent en addition de ceux achetés par France Télévision. Gros acheteur également pour le marché français : l’Espagne, et particulièrement la Catalogne : la chaîne TV3 produit un programme dédié au court et achète 40 à 50 films par an. L’an dernier, la France a généré 2,5 M€ en achats, vente et location de courts métrages plus que l’Espagne, qui est pourtant le 2e producteur au monde de courts. L’achat d’un film court pour TV3 varie entre 2 000 à 3 000 euros. C’est un prix moyen sur lequel la plupart des acheteurs de tous pays s’alignent.

Eurochannel, présente dans 87 pays, est une chaîne payante américaine en langue française. Les films achetés par Eurochannel, 50 à 60 par an, servent aussi à des projections dans des centres culturels ( Alliance française) pour des soirées thématiques ou participent à de festivals et peuvent être diffusés dans le métro à Paris grâce à un partenariat établi avec la RATP. Si l’on se réfère aux études réalisées par Unifrance sur le marché du court métrage français, la demande a fortement augmenté en 2013 avec 583 films vendus à l’étranger (contre 502 en 2012) et un CA en hausse de 29,9%.

Le développement des plateformes VOD

C’est un petit marché, comparé à celui des télévisions, mais le VOD pour « Video On Demand » est un marché qui se développe au fur et à mesure que les foyers s’équipent de tablettes et smartphones, même si l’écran du PC ou de la télévision restent encore des supports privilégiés. Sur ce marché de 250 millions d’euros en France en 2014 (chiffres CNC tous  programmes confondus) le court trouve aussi sa place comme en témoignent les acheteurs, particulièrement ceux venus d’Asie. C’est le cas de l’agence VIDDSEE installée à Singapour qui diffuse dans toute l’Asie sur sa plateforme pour mobiles. Partant du constat que 75% des 8 – 25 ans sont accrochés à leur mobile , l’offre de films courts ( 30 mn maxi) est privilégiée.

VIDDSEE est présent sur de grands festivals sous la forme d’une chaîne de télévision qui diffuse un programme et sur les réseaux sociaux. L’idée est de faire émerger une communauté sur le net pour promouvoir les films. Le film français y rencontre un succès certain.
Même son de cloche du côté de Pacific Voice, représenté par Aki Isoyama et Jessica Howard :  » au Japon, les gens ont constamment le nez sur leur mobile. En 2010, 95% des japonais avaient une tablette et les moins de 20 ans sont équipés de mobiles à 94%.  C’est une opportunité pour vendre des courts métrages. » Les plateformes VOD sont donc très actives sur ce marché qui privilégie des films très courts, de 1 à 15 mn, et s’intéresse à de nouveaux formats : « les japonais adorent la nouveauté. Nous travaillons avec un distributeur français, mais en venant à Clermont-Ferrand nous avons accès à de nouveaux distributeurs pour nos films. Pour nous Clermont-Ferrand est le principal marché pour faire connaître nos films et rencontrer des producteurs. »

Les festivals

Vitrine de la créativité des réalisateurs et de leurs équipes, le nombre de festivals dans chaque pays est impressionnant. Leurs organisateurs viennent chaque année à Clermont-Ferrand pour en faire la promotion et rechercher des films à présenter. L’Asie est très présente avec pour la Chine le festival CSFF (China International New Media Short Film Festival), et le Japon le festival de Sapporo (Japon),   » directement connecté avec Clermont-Ferrand » nous disent les organisateurs.

Les écoles de cinéma viennent aussi présenter les travaux de leurs élèves et chercher d’autres sélections dans des festivals prestigieux comme cette école de Tel Aviv : « Nous avons été approchés par la biennale de Venise sans Clermont-Ferrand nous n’aurions pas eu l’opportunité de montrer nos films »

Une manne financière conséquente pour la ville

Avec un panier moyen de 1000 euros par personne ( moitié hébergement moitié restauration), les professionnels présents à Clermont-Ferrand sont une source conséquente de profits :  » et encore », souligne cette représentante de la Wallonie,  » nous nous restreignons à 50 euros par jour pour les repas car nous avons aussi des frais de taxi et il nous faut acheter quelques souvenirs pour la famille ». Ce budget, hors paiement de son emplacement sur le marché du court et du transport jusqu’à Clermont-Ferrand, est augmenté des frais d’organisation de soirées et d’apéritifs sur les stands. La Belgique francophone a donné une soirée dans un restaurant Clermontois avec repas et open bar. Coût de l’opération : 7 000 euros. Or chaque jour de telles soirées sont organisées par les représentants des différents pays, acheteurs et distributeurs, pour rencontrer leurs clients ; chaque jour des cocktails sont servis sur les stands ou se tiennent dans les hôtels proches. Tous les acheteurs historiques sont là, Clermont-Ferrand est le rendez-vous incontournable pour les jeunes réalisateurs qui vont tenter de les approcher pendant ces 7 jours de marché.

Au total, près de 4000 professionnels venus de partout en France et de l’étranger, auront dépensé, en moyenne, en 6 ou 7 jours, 500 euros de repas et boissons dans les restaurants de la ville, et auront généré, hors hébergement, plus de 2 millions d’euros. Un chiffre vraisemblablement doublé grâce aux nuitées réservées dans les hôtels de la ville. Sans parler des bénévoles et des spectateurs dont la consommation de frites et de sandwichs dans les food tucks et restaurants des environs se chiffrent en plusieurs milliers d’euros chaque jour.

Pour la représentante de la Grèce qui salue l’esprit de solidarité des organisateurs avec leur pays en crise en leur concédant un stand à petit prix :  » Le séjour est onéreux mais l’argent investit ici est d’un excellent rapport. » Autant dire que le Festival du court métrage n’est pas une dépense  mais bien un investissement.

(1) (un pole d’éducation à l’image, une du film, un marché , une plateforme d’inscription pour 50 autres festivals du monde entier, un centre de documentation)

Sources : Irish film board, Film school Tel Aviv (Israel), Greek film centre (Grèce),
Centre national du Cinéma – CNC dossiers N° 332 Mai 2015 : Bilan 2014 films, programmes production, distribution, diffusion,  exportations, vidéo, nouveaux medias.
court mtrage

 



Un article de Chantal Moulin

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