Etudes, conseil, expertise

Réforme de la formation professionnelle : entre ruptures et continuités

Réforme de la formation professionnelle : entre ruptures et continuités
Jacques Davezies, directeur du pôle juridique du cabinet parisien Boumendil.

Jacques Davezies, directeur du pôle juridique du cabinet parisien Boumendil, livre au Journal de l’éco les principales applications de la réforme portant sur la formation professionnelle.


Qu’introduit cette nouvelle réforme dans la société ?

« Le point de départ de cette réforme a été la signature d’un accord du 14 décembre 2013, accord signé par l’ensemble des partenaires sociaux sauf par la CGPME et la CGT. Il s’agit d’une réforme ambitieuse qui introduit à la fois des ruptures (suppression du 0,9 du plan de formation ainsi que du contrôle fiscal) et des continuités avec la loi Delors de 1971 (puisque les partenaires sociaux restent au pilotage des politiques de formation, de branches professionnelles et interprofessionnelles ; l’Etat faisant le pari que la démocratie sociale est le meilleur vecteur de transformation de la société du travail). Cette réforme renforce les fondamentaux de 1971 à savoir la promotion sociale, le Congé Individuel de Formation (CIF) et créé 20 millions de compteurs de comptes personnels de formation. »

Quelles sont les ruptures majeures qu’institue cette réforme ?

« La loi de 1971 a posé le principe d’une contribution obligatoire des entreprises : une contribution financière, annuelle, légale et fiscale à la charge de l’entreprise pour financer le plan de formation de ses salariés qu’elle met en œuvre chaque année. En 2014, la réforme supprime le financement obligatoire du plan de formation quasiment intégralement et, en passant, supprime la déclaration fiscale et ses contrôles. Avant, les entreprises de 10 salariés et plus devaient contribuer au minimum à 0.9 % de la masse salariale annuelle au financement du plan de formation. Demain, au titre du financement de leur plan de formation, les entreprises entre 10 et 300 salariés ne seront plus tenues qu’à une contribution de 0,10 % ou à 0,20 % de leur masse salariale.

Face à cette réforme et la rupture qu’elle introduit, beaucoup d’acteurs ont des craintes : en supprimant l’obligation légale de financement annuel du plan de formation, allons-nous assister à l’effondrement de l’effort de formation dans les entreprises ? Ou au contraire, les entreprises vont-elles continuer à faire de la formation sans la contrainte fiscale ? Le pari qui a été fait c’est qu’aujourd’hui les entreprises sont suffisamment responsables pour mettre en œuvre la formation qui correspond à leurs vrais besoins dans une logique d’investissement et de performance. »

Quelles sont les continuités de cette réforme professionnelle ?

« En 1971, le choix a été de confier aux partenaires sociaux la gestion des fonds mutualisés de la formation. Ce choix n’est pas remis en cause, il est même renforcé. L’argent de la formation finançait jusqu’à présent le plan de formation (0,9 %) et la professionnalisation. Le plan de formation étant supprimé, la professionnalisation est, quant à elle, maintenue pour le financement de la professionnalisation dans le cadre de contrats en alternance pour les jeunes et pour les périodes de professionnalisation au bénéfice des salariés « fragilisés » en cours de CDI.

Quelque part, nous pouvons dire que nous revenons aux fondamentaux de la loi de 1971. L’objectif d’alors : « favoriser la promotion sociale des salariés. » autrement dit « offrir aux personnes qui sont engagées dans la vie active la possibilité de franchir une ou plusieurs étapes de qualification au cours de leur carrière ». Le fameux ascenseur promotionnel … Il y a un outil dans le système français, le congé individuel de formation (CIF), qui permet aux salariés de s’absenter de leur travail pour effectuer une formation d’une durée moyenne de 900 heures. Nous voyons que, dans 70 % des cas, le CIF est utilisé par les salariés dans une optique de promotion ou de conversion. Ceci accrédite l’idée d’un véritable souhait, voire besoin, des salariés de maîtriser leur trajectoire professionnelle. Mais le CIF est très limité puisque sur 19 millions de salariés en France, seuls 45 000 bénéficient du CIF chaque année. Ce dispositif, que la loi maintient et renforce, va être doublé d’un deuxième levier mis à disposition des salariés : le « compte personnel de formation. »

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce compte personnel de formation ?

Toute personne engagée dans la vie active va être titulaire, au 1er janvier 2015, d’un « compteur d’heures » tenu par la Caisse des dépôts et de consignation sur lequel la personne va pouvoir capitaliser des droits proportionnels à la durée de son activité en tant que salarié. Le rythme d’acquisition est de 24 heures par an dans le cas d’un contrat à temps plein, jusqu’à atteindre un plafond de 120 heures. Une fois ce plafond atteint, c’est-à-dire au bout de 5 ans, (sans avoir consommé ses droits), la personne capitalise 12 heures par an jusqu’à atteindre le plafond de 150 heures. En 7 ans et demi, la personne arrive donc au plafond de 150 heures. Mais ce compte constitue un « socle » auquel divers financeurs (Pôle Emploi, Conseil régional, entreprise, OPCA (1), OPACIF (2)) peuvent apporter des abondements permettant de couvrir le nombre d’heures excédant 150 jusqu’à la réalisation d’une formation qualifiante. D’autre part, le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), organisme paritaire central en charge de la péréquation inter-OPCA, vient réassurer les financeurs c’est-à-dire leur rembourser les dépenses qu’ils engagent au titre du socle de CPF (3). En ce sens, la loi de 2014 renforce la stratégie de sécurisation des parcours par les partenaires sociaux et offre un levier décisif pour le renforcement des qualifications et des compétences personnelles tout au long de la vie. Stratégique, compte tenu de la vitesse et de l’intensité toujours croissante des transformations des technologies et des organisations du travail. »

Comment va être financée la mise en place du compte personnel de formation ?

1.2 milliard d’euros ont été levés pour le financement du compte personnel de formation, notamment  en refléchant pour partie la contribution légale au titre du « plan de formation » désormais supprimée pour les entreprises employant plus de 300 salariés et fortement minorée pour les entreprises employant de 10 à 300 salariés.

Les entreprises de moins de 10 salariés, soit 1,3 million d’entreprises, ne paieront rien. Les 150 000 entreprises de 10 salariés et plus verseront à leur OPCA une contribution de 0,2 % de leur masse salariale au titre du compte personnel de formation (soit  une somme de 900 millions d’euros). 300 millions de plus seront injectés par le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), notamment pour financer le CPF mis en œuvre lors d’une mobilité professionnelle ou d’une transition d’une branche d’activité à une autre.

 

 



Un article de Catty Boirie

Si vous avez aimé cet article,
partagez le !