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Depuis 3 ans des étudiants parcourent les rues d’Ambert à la recherche d’éléments architecturaux et urbains susceptibles de répondre à ce questionnement, primordial pour les villes en développement : comment requalifier le patrimoine bâti dans un esprit de développement durable et inventer de nouveaux écosystèmes énergétiques à l’échelle d’une ville.
Penser l’architecture dans un contexte global
Trois écoles d’architecture, Grenoble, Lyon et Saint-Etienne se sont données pour challenge de répondre à cette question de la transition énergétique et choisi Ambert comme territoire d’étude. En mobilisant leurs étudiants de Master 1 et Master 2 sur le terrain et à la rencontre avec les habitants, 3 enseignants les ont accompagnés sur le terrain, de 2011 à 2014. Leur réflexion s’est traduite sous forme de 44 projets qui ont permis d’élaborer des hypothèses dont la synthèse vient d’être présentée aux habitants et acteurs locaux sous la forme d’un parcours dans la ville. L’objectif étant d’échanger avec eux et de voir comment les “utilisateurs” s’approprient ces projets.
Sur un territoire urbain comme Ambert, la problématique de la transition énergétique concerne tous les aspects de la rénovation urbaine : densification du centre bourgs, traitement des friches urbaines, requalification du bâti existant. C’est pourquoi les projets imaginés par les étudiants s’appuient sur un diagnostic qui prend en compte le phénomène de désertification rurale avec le départ des jeunes faute d’emploi, l’intérêt paysager, la richesse du patrimoine bâti (centre bourg médiéval), des qualités patrimoniales à préserver ainsi qu’un fort potentiel de développement d’activités économiques autour de la filière bois, d’une agiculture bio et de l’accueil touristique.
Les enjeux energétiques
Comment l’existant peut-il être pris en compte et interagir avec les aménagements qui permettront de répondre aux enjeux de la baisse de la consommation de l’énergie ? Tel est le challenge auquel les étudiants se sont confrontés dans leur analyse. L’originalité des réponses apportées va bien au delà de la seule application des normes de construction HQE. Chacun des projets présentés intègre la double problématique de la réduction de la consommation d’énergie en construisant à partir des ressources locales : terre, pierre, paille et la production d’ énergie renouvelable en concevant un type d’habitat producteur de sa propre énergie : solaire, éolienne, géothermique.
Mais comment aller plus loin dans la réflexion ? Nicolas Dubus, enseignant à l’école d’architecture de Grenoble, définit le cadre : “Ce qui est en jeu c’est la spatialisation de la transition énergétique à savoir, comment se pose la problématique de la transition énergétique sur un territoire urbain et pas seulement dans l’habitat”. Les dimension du développement durable sont ici prises dans la pleine acceptation de la démarche : créer du lien social en renforçant la centralité du coeur de ville, préserver la qualité de l’environnement, soutenir l’activité économique en valorisant les ressources locales tout en structurant les filières créatrices d’emploi et de richesses.
Donner au territoire un projet humain, culturel et social par la reconquête des quartiers
A Ambert, ce travail de réflexion a permis de revisiter toutes les fonctions de la ville à travers des projets et des thématiques qui font de la transition énergétique un enjeu sociétal, culturel, économique. Cinq sites tombés en désuétude ont ainsi été repensés en termes d’habitat, d’équipements publics, d’implantation d’activités économiques, chacun développant une dynamique propre en fonction de sa spatialisation. Les quartiers de la gare et l’îlot Foch d’une part, le centre bourg d’autre part pour redynamiser l’activité économique et créer du lien social et les quartiers périphériques rendus à leur fonction première : nourrir les hommes.
Habiter les quais
Le quartier de la gare tout comme la gare elle même, est en sommeil. Remettre en fonctionnement la ligne de chemin de fer avec de l’habitat léger à vocation touristique et de services et commerces qui circuleraient dans des wagons n’est peut être pas si utopique que cela. Les quais pourraient se singulariser par une thématique de loisirs et accueillir ateliers d’artistes et boutiques de vente d’artisanat en relation avec la gare et le cœur de ville non loin. L’itinérance pourrait ne pas se limiter au parcours touristique mais apporter des activités culturelles ( wagon bibliothèque, théâtre, …). Alentour,les étudiants proposent de développer un habitat collectif avec différents types de logements
Revisiter le patrimoine
L’îlot Foch bénéficie d’un potentiel paysager intéressant permettant de conserver de la nature à l’intérieur de la ville grâce à la réhabilitation de bâtiments vétustes, la construction de logements neufs dans les dents creuses tout en préservant un îlot vert comme c’est encore le cas. Les étudiants ont imaginé que cet îlot pourrait être désenclavé et accueillir des espaces publics que les habitants pourraient s’approprier. La réflexion énergétique a été menée à l’échelle non plus de chaque bâtiment mais à l’échelle de l’îlot lui même, notamment en mutualisant la production et la consommation d’énergie. Cet écosystème à l’échelle de l’îlot Foch permettrait de connecter tous les bâtiments à un réseau énergétique mais aussi les habitants entre eux avec l’aménagement d’espaces communs et de jachères créées en démolissant des bâtiments trop vétustes. Seuls les murs en pisé seraient conservés pour économiser l’énergie et mettre en valeur le patrimoine constructif. Ces jardins ont disparu des villes sous la poussée de l’urbanisme or ils contribuent à maintenir un éco système..
revisiter l’habitat en centre bourg
Beaucoup d’étudiants se sont intéressés aux cultures constructives locales pour les revisiter de manière extrêmement contemporaine, particulièrement en centre bourg. Le centre ville historique d’Ambert est composé d’un habitat très dense, avec des maisons serrées les unes contre les autres où la lumière n’entre pas. Comment donner vie à un centre bourg truffé de friches urbaines et de bâtiments en désuétude ? Comment valoriser le patrimoine, rendre la ville attractive, accompagner le développement de nouvelles fonctionnalités et renforcer la centralité pour attirer des porteurs d’activités.
Les étudiants ont posé comme préalable de faire entrer la lumière sans démolir les maisons anciennes. La solution envisagée consiste à garder l’enveloppe et construire à l’intérieur en utilisant l’espace ” entre les deux peaux” comme espace partagé, non chauffé mais qui fait “tampon” avec l’extérieur et permet la circulation entre les logements. C’est le cas pour les espaces sous toiture qui peuvent devenir communs, espaces d’expositions, places publiques, ateliers d’artistes, serres aménagées sous les toits. Tous les quartiers du centre présentant une grande vétusté pourraient être réaménagés sur ce modèle décliné à l’infini, à énergie passive et production d’énergie.
Introduire la campagne à la ville
Les étudiants en architecture en se posant la question du “comment habiter sa ville ” et plus seulement quel type de logement construire ont aussi imaginé de réintroduire la fonction agricole dans leur réflexion globale. Trois projets illustrent cette démarche : la ferme urbaine, micro ferme laitière et méthaniseur pour la production d’énergie, la ferme auberge avec centre équestre, le quartier du semoir investi comme zone maraîchère de proximité
Une réflexion sur un devenir possible de la ville.
Le point de départ et le point commun de ces projets est un constat que l’on tarde à prendre en compte : “on va devoir changer notre façon de penser la consommation d’énergie. Il faut donc accompagner cette transition en réfléchissant à d’autres façons d’habiter” explique Nicolas Durus: ” nous avons laissé aux étudiants une liberté totale dans leurs investigations. Il s’agit de projets fictifs, pas même d’une pré-figuration, mais nos étudiants ont les pieds sur terre en dépit de la dimension utopique de leurs propositions. Ces projets sont parfaitement réalisables et économiquement accessibles.”
Si tous ces projets représentent un exercice pédagogique et n’ont pas vocation à devenir des modèles, ils n’en sont pas moins des supports pour envisager le futur de la ville. Le parcours commenté et documenté a été cartographié et illustré dans un jeu de documents et cartes postales à disposition du public.
A Ambert, lorsque on va au PMU (Pari des Mutations Urbaines) c’est pour réfléchir sur l’avenir de sa ville. Cette association composée d’architectes, d’urbanistes, de designers, de sociologues a élu domicile en centre ville et ouvre un espace d’exposition et d’échange.
Un article de Chantal Moulin